Philippe Poncin part à la retraite (portrait par Yvon Rollin)
Ce 21 décembre, peu avant la remise des bulletins dans une ambiance conviviale, les professeurs ont fêté l’un des leurs, qui sera retraité dès le 1er janvier. Philippe Poncin, romaniste, personnalité forte et respectée, homme de conviction, est connu pour l’action syndicale qu’il a menée au cours des 30 années écoulées, tant au niveau local que régional. C’est avec beaucoup d’humour que son parcours a été évoqué au cours d’un repas de Noël très chaleureux…
(Incessamment sur cette même page, vous lirez une évocation par son collègue, Yvon Rollin.)
(Incessamment sur cette même page, vous lirez une évocation par son collègue, Yvon Rollin.)
Ce vendredi 7 décembre, nous étions trois ou quatre amis de Philippe, autour de lui, dans notre cave, que d'aucuns prétendent être une salle des profs. On se connaît depuis si longtemps qu'on percevait ce jour-là chez Philippe une secrète fragilité. Alors l'un de nous lui a demandé quel était le sujet de son dernier cours . Et Philippe de répondre avec sa vivacité et sa netteté si connues : «Rimbaud» !
Nous avons souri . Il est bien resté le même. Le jeune homme arrivé ici il y a 32 ans ne se différencie guère de celui que nous fêtons aujourd'hui.
C'est le même qui aurait pu écrire, comme Rimbaud, à propos des bourgeois de Charleville (pas ceux de Saint-Roch) :
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses .
C'est vrai qu'on ne peut plus confondre l'adolescent fougueux qu'était Rimbaud quand il a écrit cette strophe , avec notre bibliothécaire : vous le voyez, il a le maintien élégant des bourgeois dont il s'est lui aussi moqué ; il en a aussi les rondeurs. Mais dans son cour ,c'est toujours la même force ; dans son intelligence, c'est toujours la même curiosité. Il y a deux ans d'ici, pour une journée Portes ouvertes, il avait réalisé une petite exposition sur la libération des camps d'extermination . Rien pour effrayer un petit futur Saint-Rochî ! Mais pour nous se trouvaient sur la table des recueils de Cerlan, un poète allemand rarement connu des francophones. La même année, Il m'a suffi d'évoquer un titre de livre intéressant, « Le Bouc émissaire », pour le voir s'écrier, l'oil pétillant : « René Girard » , l'auteur du livre en question et bien connu longtemps des seuls intellectuels américains.
Je me suis parfois demandé si Philippe, dès les premiers jours à Saint-Roch, en 1975, n'avait pas compris ou décidé que son destin serait désormais lié à son cher collège. Il faut dire qu'à l'époque Saint-Roch tenait autant du mythe que du quotidien le plus fruste. Le petit séminaire, saint et apostolique, regorgeait de personnalités qui ne passaient pas inaperçues. Philippe a connu l'abbé Georges Jehenson, il fut mon premier directeur.Et un grand directeur ! C'est lui qui usant finement d'une métaphore héraldique dira de son préfet, un autre abbé, intelligent, dévoué, mais frondeur et espiègle : « Beaucoup de gueules sur peu de fond ! » L'abbé Jean Debatty, autre figure de légende. Le facétieux et génial Richard Bodéüs l'avait surnommé un soir de belle ivresse partagée avec ses amis classiques et romanistes « Jehan le Bon » ! Ah ! on a beau dire, la vie ecclésiastique avait du bon ! Le jeune homme qui avait fait toutes ses classes chez les franciscains n'était pas effrayé par les frasques de ceux qui confondaient le service du vin avec le service divin, pour reprendre ce bon mot de Rabelais .
Lui-même avait la parole et le geste inspirés de la pédagogie des bons pères franciscains (La seule valable, d'ailleurs, avant celle des charlatans de la pédagogie actuelle). Il sortit un jour de sa classe , furibond, jetant le manuel qu'il tenait en main à la tête du premier élève venu et s'écriant : »Vous êtes vraiment trop cons ! » Philippe avait évidemment des modèles peu fréquentables : l'inénarrable Verpoorten qui hurlait des insanités qu'il savait entendues par une jeune et prude collègue, l'imprévisible Guy Halin qui trouva un jour son maître, il s'était jeté contre Daniel Mathay qui d'un coup d'épaule l'envoya dans la poubelle, le panzerabbé Paul Flas qui menait ses employés comme Frédéric II menait ses ministres par le nez, le broussard Jacques Houet qui fit brouter la pelouse de la cour d'honneur à un cancre, et tant d'autres qui cachaient sous leurs facéties un cour généreux et un dévouement sans calcul à la cause des jeunes qui leur étaient confiés .
Si Philippe décida de faire corps avec ce qui deviendrait son cher collège, il n'oubliera pas sa chère Françoise : trois enfants en sont les témoins, Marie, Nicolas et François. Mais malgré son attachement indéfectible à sa famille, malgré ses bottes d'intellectuel fermier cultivant ses potimarrons à Heyd, il vivra intensément à Saint-Roch . Françoise devra s'y résigner. Une moitié de sa chère moitié lui échapperait toujours.
Ce tempérament de feu lui jouera des tours, il devait s'y attendre .Soucieux du sort des écoles, il se lance à corps perdu dans le combat syndical en 1990 et en 1996. Il en effraie les poussifs messieurs du pouvoir organisateur de l'époque : il ne succédera pas à Guy Halin !... Au pinacle directorial, il a préféré le pouvoir de la rue. Nihil novi sub sole : les tribuns du peuple ont souvent été proscrits à Rome .
Je me suis d'ailleurs demandé si ce tempérament parfois donquichottesque n'expliquait pas son hispanophilie ou son goût du théâtre. Car oublier l'Espagne ou l'Amérique Latine, c'est méconnaître Philippe, lui qui donna si longtemps ses cours d'espagnol avec la douce brusquerie, pour employer un oxymore, de nos cousins ibériques. L'Espagne, sa langue, sa grande culture, ses paysages ont durant toutes ces années accompagné Philippe dans son froid bureau, orienté au nord, le deuxième à droite, dans le couloir des professeurs laïcs, comme on disait autrefois.Il n'a jamais quitté ce même bureau durant 32 ans. Et pour ce qui est du théâtre, je crois pouvoir dire que les passions, la lucidité et l'ingéniosité de Philippe sont telles qu'elles expliquent son admiration sans faille du théâtre .
L'homme a , c'est sûr, des faiblesses. Il ne faisait pas bon dans les années septante de jouer au football contre ce défenseur rugueux . Il avait le pied et le coude qui s'égaraient ! Dans une discussion politique, une deuxième bouteille était à sacrifier si l'on voulait l'emporter contre ce roué dialecticien, formé à une sorte de théologie de la libération . Et pas plus tard que cette année, il n'hésitait pas à étriller sans ménagement la direction qui, du coup, piquait du nez dans ses dossiers .
Je souligne sans prudence tous ses traits de caractère. Je sais que Philippe n'oublie rien ; mais je sais aussi qu'il pardonne presque tout. Et notre vieille amitié a surmonté tous les obstacles, « parce que c'était lui, parce que c'était moi », comme disait Montaigne . Ne rien oublier, mais pardonner presque tout, n'est-ce pas là un des traits du bon professeur, ou plutôt du bon maître ? J'ai évoqué au début son goût de la poésie rimbaldienne. Qui sait si un jour, comme Arthur Rimbaud, qui parcourut l'immensité somalienne, Philippe Poncin ne parcourra demain l'Afrique subsaharienne ou l'Amérique Latine ? D'autres, nous en sommes sûrs, diront alors de lui ce que nous lui disons aujourd'hui : un homme éclairé par sa foi, un homme de générosité .
Pour ses amis, Yvon Rollin. 20 décembre 2007.
Voir les photos prises à cette occasion
Nous avons souri . Il est bien resté le même. Le jeune homme arrivé ici il y a 32 ans ne se différencie guère de celui que nous fêtons aujourd'hui.
C'est le même qui aurait pu écrire, comme Rimbaud, à propos des bourgeois de Charleville (pas ceux de Saint-Roch) :
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses .
C'est vrai qu'on ne peut plus confondre l'adolescent fougueux qu'était Rimbaud quand il a écrit cette strophe , avec notre bibliothécaire : vous le voyez, il a le maintien élégant des bourgeois dont il s'est lui aussi moqué ; il en a aussi les rondeurs. Mais dans son cour ,c'est toujours la même force ; dans son intelligence, c'est toujours la même curiosité. Il y a deux ans d'ici, pour une journée Portes ouvertes, il avait réalisé une petite exposition sur la libération des camps d'extermination . Rien pour effrayer un petit futur Saint-Rochî ! Mais pour nous se trouvaient sur la table des recueils de Cerlan, un poète allemand rarement connu des francophones. La même année, Il m'a suffi d'évoquer un titre de livre intéressant, « Le Bouc émissaire », pour le voir s'écrier, l'oil pétillant : « René Girard » , l'auteur du livre en question et bien connu longtemps des seuls intellectuels américains.
Je me suis parfois demandé si Philippe, dès les premiers jours à Saint-Roch, en 1975, n'avait pas compris ou décidé que son destin serait désormais lié à son cher collège. Il faut dire qu'à l'époque Saint-Roch tenait autant du mythe que du quotidien le plus fruste. Le petit séminaire, saint et apostolique, regorgeait de personnalités qui ne passaient pas inaperçues. Philippe a connu l'abbé Georges Jehenson, il fut mon premier directeur.Et un grand directeur ! C'est lui qui usant finement d'une métaphore héraldique dira de son préfet, un autre abbé, intelligent, dévoué, mais frondeur et espiègle : « Beaucoup de gueules sur peu de fond ! » L'abbé Jean Debatty, autre figure de légende. Le facétieux et génial Richard Bodéüs l'avait surnommé un soir de belle ivresse partagée avec ses amis classiques et romanistes « Jehan le Bon » ! Ah ! on a beau dire, la vie ecclésiastique avait du bon ! Le jeune homme qui avait fait toutes ses classes chez les franciscains n'était pas effrayé par les frasques de ceux qui confondaient le service du vin avec le service divin, pour reprendre ce bon mot de Rabelais .
Lui-même avait la parole et le geste inspirés de la pédagogie des bons pères franciscains (La seule valable, d'ailleurs, avant celle des charlatans de la pédagogie actuelle). Il sortit un jour de sa classe , furibond, jetant le manuel qu'il tenait en main à la tête du premier élève venu et s'écriant : »Vous êtes vraiment trop cons ! » Philippe avait évidemment des modèles peu fréquentables : l'inénarrable Verpoorten qui hurlait des insanités qu'il savait entendues par une jeune et prude collègue, l'imprévisible Guy Halin qui trouva un jour son maître, il s'était jeté contre Daniel Mathay qui d'un coup d'épaule l'envoya dans la poubelle, le panzerabbé Paul Flas qui menait ses employés comme Frédéric II menait ses ministres par le nez, le broussard Jacques Houet qui fit brouter la pelouse de la cour d'honneur à un cancre, et tant d'autres qui cachaient sous leurs facéties un cour généreux et un dévouement sans calcul à la cause des jeunes qui leur étaient confiés .
Si Philippe décida de faire corps avec ce qui deviendrait son cher collège, il n'oubliera pas sa chère Françoise : trois enfants en sont les témoins, Marie, Nicolas et François. Mais malgré son attachement indéfectible à sa famille, malgré ses bottes d'intellectuel fermier cultivant ses potimarrons à Heyd, il vivra intensément à Saint-Roch . Françoise devra s'y résigner. Une moitié de sa chère moitié lui échapperait toujours.
Ce tempérament de feu lui jouera des tours, il devait s'y attendre .Soucieux du sort des écoles, il se lance à corps perdu dans le combat syndical en 1990 et en 1996. Il en effraie les poussifs messieurs du pouvoir organisateur de l'époque : il ne succédera pas à Guy Halin !... Au pinacle directorial, il a préféré le pouvoir de la rue. Nihil novi sub sole : les tribuns du peuple ont souvent été proscrits à Rome .
Je me suis d'ailleurs demandé si ce tempérament parfois donquichottesque n'expliquait pas son hispanophilie ou son goût du théâtre. Car oublier l'Espagne ou l'Amérique Latine, c'est méconnaître Philippe, lui qui donna si longtemps ses cours d'espagnol avec la douce brusquerie, pour employer un oxymore, de nos cousins ibériques. L'Espagne, sa langue, sa grande culture, ses paysages ont durant toutes ces années accompagné Philippe dans son froid bureau, orienté au nord, le deuxième à droite, dans le couloir des professeurs laïcs, comme on disait autrefois.Il n'a jamais quitté ce même bureau durant 32 ans. Et pour ce qui est du théâtre, je crois pouvoir dire que les passions, la lucidité et l'ingéniosité de Philippe sont telles qu'elles expliquent son admiration sans faille du théâtre .
L'homme a , c'est sûr, des faiblesses. Il ne faisait pas bon dans les années septante de jouer au football contre ce défenseur rugueux . Il avait le pied et le coude qui s'égaraient ! Dans une discussion politique, une deuxième bouteille était à sacrifier si l'on voulait l'emporter contre ce roué dialecticien, formé à une sorte de théologie de la libération . Et pas plus tard que cette année, il n'hésitait pas à étriller sans ménagement la direction qui, du coup, piquait du nez dans ses dossiers .
Je souligne sans prudence tous ses traits de caractère. Je sais que Philippe n'oublie rien ; mais je sais aussi qu'il pardonne presque tout. Et notre vieille amitié a surmonté tous les obstacles, « parce que c'était lui, parce que c'était moi », comme disait Montaigne . Ne rien oublier, mais pardonner presque tout, n'est-ce pas là un des traits du bon professeur, ou plutôt du bon maître ? J'ai évoqué au début son goût de la poésie rimbaldienne. Qui sait si un jour, comme Arthur Rimbaud, qui parcourut l'immensité somalienne, Philippe Poncin ne parcourra demain l'Afrique subsaharienne ou l'Amérique Latine ? D'autres, nous en sommes sûrs, diront alors de lui ce que nous lui disons aujourd'hui : un homme éclairé par sa foi, un homme de générosité .
Pour ses amis, Yvon Rollin. 20 décembre 2007.
Voir les photos prises à cette occasion
Par Yvon Rollin